Cet article est lu en 9 minutes, le temps de prendre une tisane et une belle respiration.
J’ai eu l’occasion de rencontrer lors d’un congrès international sur le fascia, Yves Laval, ostéopathe et fondateur de la fasciapraxie. Son parcours est étonnant et j’ai eu envie de vous partager l’interview que j’ai menée avec lui. Il nous parle de philosophie du soin, de spiritualité, de toucher…
Toutes ces choses qui font d’un soignant, un thérapeute.
Se soigner autrement : Pourriez-vous vous présenter en quelques mots?
Yves Laval : Au départ , comme les gens de ma génération, j’étais kiné, un kiné frustré qui avait du mal à voir le corps en rondelles… Dès que j’ai eu connaissance de l’ostéopathie, j’ai su au fond de moi que c’était ce que je recherchais confusément. Une approche de la globalité du corps avec une véritable philosophie où le corps met en route ses propres processus de réparations tissulaires. Dès les premières années de « bonheur thérapeutique », les questions sont arrivées sans réponse de mes professeurs. le bonheur était toujours là (encore aujourd’hui !). Mais le dogme ostéopathique me pesait. Etant d’un naturel de chercheur, j’ai abandonné les certitudes pour ne faire confiance qu’à mes mains au contact des fascias… Et j’ai mis en place patiemment des techniques en rapport avec d’une part la philosophie ostéopathique et d’autre part des hypothèses scientifiques et ma conscience intime de thérapeute.
J’ai été compagnon de route de Danis Bois et de sa Fasciathérapie quelques années, mais j’avais besoin de ma totale autonomie de pensée.
Aussi j’ai repris mon chemin de praticien chercheur libre !
Des recherches scientifiques m’ont banni pendant un certain temps de l’orthodoxie ostéopathique. Car je cassais un des dogmes de l’ostéopathie , le « MRP » , le Mécanisme Respiratoire Primaire par une expérimentation passionnante à l’hôpital de Reims et à la faculté des sciences, qui donnait un éclairage plus rigoureux et cohérent a ce phénomène magique de la rythmicité de tout le corps. Ayant au fond de moi cette certitude intérieure de ma légitimité, j’ai continué… Maintenant les ostéos plus jeunes sont attirés par cette approche loin des dogmes anciens, ouverte vers la nouveauté des neurosciences mais, chevillée au corps, c’est le cas de le dire, cette fidélité à la philosophie de l’ostéopathie.
SSA : Vous êtes un « libre praticien » à l’image des philosophes grecs! Où certains voient l’ostéopathie comme une technique, d’autres comme une médecine, vous parlez d’approches manuelles et utilisez le mot philosophie…Pourriez-vous nous en dire plus sur la philosophie de l’ostéopathie et de la fasciapraxie ?
YL : Oui, on ne peut comprendre et agir (je devrais plutôt dire être …) en ostéopathie que si on a intégré sa philosophie. En effet à l’opposé d’une démarche allopathique où l’on est dans le faire avec un ego fort, l’ostéopathie est pour moi une thérapie du non faire! Il faut aider le corps à mettre lui même en route ses propres processus de réparations tissulaires, neurochimiques et parfois neuro-émotionnels, ce qui suppose une humilité devant les prodiges de la nature et de l’homme en particulier. Le choix de la technique est bien guidé par cette philosophie du non faire chère aux bouddhistes, un non faire agissant néanmoins si on peut dire, judicieusement précis, rigoureux, respectueux, non invasif et empathique.
Tout est là !
Je dis souvent dans les formations que je donne, il faut faire » le maximum du minimum ou le minimum du maximum ». Métaphore bien explicite sur cette qualité du travail.
Néanmoins le travail est une chose mais la qualité de la présence du thérapeute est à la longue véritablement essentielle. C’est ce que j’appelle la deuxième initiation en ostéopathie, la première initiation étant cet émerveillement majeur qui nous chamboule quand nous percevons des micro mouvements dans le corps du MRP comme si nous sentions l’agitation moléculaire au contact d’un minéral.
Oui l’ostéopathie est une vraie philosophie qui engage le thérapeute dans un chemin de découverte du corps et s’il veut aller plus loin pour se rapprocher de son essentialité, un chemin exigeant à la découverte de lui-même sans être dans ce gonflement de l’ego si cher à notre civilisation.
SSA : La pratique de l’ostéopathie aurait pu vous suffire, en y appliquant cette philosophie. Pour autant vous avez continué à chercher ?
YL : Je ne sais pas si la pratique « classique » de l’ostéopathie m’aurait suffit…je ne le pense pas. Mon intérêt passionné pour l’art m’a toujours confronté à la création et à l’innovation d’une manière générale. Il se trouve que je suis quelqu’un de créatif et des formules toutes faites érigées en lois ne m’auraient pas convenu sans une corroboration par mon toucher et mon expérience propre, et ceci d’autant plus qu’il n’y avait aucune rigueur scientifique.
A l’époque on parlait beaucoup des fascias mais on les touchait peu…
… ou d’une manière qui n’était pas assez construite pour moi, une manière « molle » comme les montres molles de Salvador Dali…
Pour rentrer dans une solidité thérapeutique vierge de toute rigidité dogmatique, très progressivement j’ai mis en place des techniques que j’ai rodées inlassablement avec en même temps une recherche d’étayage scientifique extrêmement stimulante intellectuellement.
La main d’abord, le cerveau après, c’est mon principe de travail et d’être aussi.
Oui c’est la main qui prime sur le plan des sensations et du toucher. Mais après il faut chercher à comprendre ce que l’on a sous les mains, donc « étalonner » son toucher comme un œnologue a étalonné son palais si l’on peut dire, une sorte de travail de référencement incessant très enrichissant.
Le but étant d’avoir une pratique solide, transmissible quand on est viscéralement « un passeur » comme moi et non figée dans le temps.
L’univers des fascias en pleine évolution se prêtant merveilleusement à ces questionnements tactiles, ces inconnues tissulaires sous les doigts, ces terra incognita à découvrir me passionnaient et me passionnent encore aujourd’hui… Un monde vierge à découvrir sous mes mains, quelle merveille!
Voilà une part de ce travail.
L’autre partie est plus spirituelle, celle là. En d’autres termes comment être stable, centré dans cet univers fluctuant. Là encore il ne s’agit pas d’une stabilité rigide mais plutôt d’un centrage au cœur de soi-même permettant d’appréhender ces mobilités du corps.
Seule la méditation m’a apporté ce centrage de plénitude si fort dont j’avais si profondément besoin.
La deuxième initiation ostéopathique
Je crois avoir parlé de la première initiation en ostéopathie qui est la découverte de ces écoutes du corps si bouleversantes. On peut rester des années dans cette magie des écoutes comme une sorte d’addiction à cette subtilité révélée du corps, et beaucoup en restent là, cela devient une facilité.
Mais l’étape suivante, que j’ai appelée la deuxième initiation est une rencontre avec soi-même plus approfondie, nécessaire me semble-t-il si l’on veut ne pas s’arrêter là. Il peut y avoir le biais de multiplier les formations pour l’ostéopathe. Chercher toujours à l’extérieur ce que seul l’intérieur et l’intériorité peuvent vous amener, d’autant plus que le patient à lui aussi besoin d’un thérapeute centré, humain, compassionnel, humble, fort en un mot mais pas d’une force pour dominer ou écraser l’autre mais au contraire d’une force d’être sans tapage, une véritable présence d’être et une présence d’aide neutre, les deux se confortent mutuellement.
C’est évidemment cet aspect là que j’ai développé par…
… une impérieuse nécessité intérieure.
SSA : On ne soupçonne pas la profondeur du vécu de l’ostéopathe lorsqu’on le consulte! Pourriez-vous nous présenter un peu plus la fasciapraxie que vous avez développée ?
YL : Tout d’abord, elle s’inscrit totalement dans la philosophie ostéopathique. A savoir comme le disait Andrew Taylor Still, le fondateur de l’ostéopathie « le corps a en lui sa propre pharmacopée »… Pour moi, pour la Fasciapraxie, Ostéopathie tissulaire s’il en est, le thérapeute n’est qu’un instigateur des processus de réparation que le corps, les tissus mettent en route. Cette attitude d’humilité, de non ego du thérapeute est indispensable pour permettre au corps de déclencher pleinement ses propres ressources d’auto guérison.
Cette approche a guidé avec passion et un immense respect tout l’ensemble des techniques que j’ai pu mettre en place au fil des années.
Le thérapeute fait une proposition au corps, un « fulcrum », terme ostéopathique qui veut dire point d’arrêt ou point d’appui à partir duquel les tissus vont recruter leurs propres potentiels d’élasticité, de réagencements de fibres, et tout un ensemble de processus physiques, bioélectriques et neurochimiques pour arriver à un état d’équilibre nouveau.
C’est avec un immense respect et émerveillement que j’assiste à tout cela à partir de mes mains,
Reconnaissant au corps sa primauté dans sa réparation.
Tout un ensemble de touchers ont été développés, le toucher périosté (le périoste est le tissu qui recouvre les os NDLR), les disjonctions tissulaires, les compactions , le toucher dure-mérien (la dure-mère est le tissu qui enveloppe le cerveau NDLR), le toucher neurovasculaire, le toucher de la vigilance archaïque, les cheminées énergétiques, etc…
Ces touchers supposent une profonde attitude d’empathie. Un non faire qui demande , je le répète, une véritable révolution d’être chez le thérapeute assez proche d’une philosophie bouddhiste, un véritable travail sur soi que j’ai donc appelée la deuxième initiation ostéopathique, la plus importante ou l’on reconnaît au corps, à cette conscience tissulaire un rôle primordial.
Par ailleurs les neurosciences et l’éthologie nous ont bien appris tout le substrat neurochimique de la communication non verbale entre deux consciences chez les mammifères dont nous faisons partie… « L’empathie existe aussi chez les animaux » comme le dit si bien Jean Didier Vincent, un de mes maîtres à penser (vous pouvez découvrir ses ouvrages ici et ici NDLR).
En conclusion, l’ostéopathie doit avoir sa place au cœur des neurosciences. Comme il existe maintenant les sciences contemplatives qui étudient les processus neuronaux déclenchés par les états méditatifs et la conscience tissulaire détectée en Fasciapraxie mérite d’être reconnue et étudiée maintenant. La conscience et la science réunies enfin…
SSA : Merci beaucoup de nous avoir partagé votre regard ouvert sur l’ostéopathie.
Je vous invite à prolonger cette rencontre grâce à Carnet du toucher – Voyage à la découverte de notre corps, son ouvrage très accessible où il nous raconte son cheminement vers l’élaboration de la fasciapraxie à la manière d’un carnet intime.
Yves Laval y aborde l’ostéopathie avec un regard très personnel. Le toucher s’apparente pour lui à la lecture d’un texte en braille. Chaque texte, sous ses mains de thérapeute, raconte l’histoire émotionnelle, affective et traumatique du patient à travers la texture particulière des fascias explorés. La Fasciapraxie est le nom qu’il a donné à cette approche tissulaire de l’ostéopathie. Cette « spéléologie » des tissus suppose un travail personnel en amont qui entretienne la capacité sensorielle du toucher. Travail récurrent, rigoureux, appelant une grande discipline, une grande capacité de concentration, nécessaire pour la créativité et l’éveil du praticien. Une telle pratique conduit à développer une autre grande qualité : l’intuition. C’est cette pratique subtile de l’ostéopathie que l’auteur nous fait partager grâce à ce livre.
Cet article a 5 commentaires
Passionnant,
cela correspond à mon propre cheminement
Merci
Je vais acheter le livre
Baignant dans cette évolution, pourrais-je même dire révolution, ça me rejoint beaucoup au bas mot car c’est ce que je vis et comprends.
Merci !
Cordialement,
Je suis ravi que cela vous parle. C’est un Chemin de vie dont parle Yves Laval.
Bonne route!
Loïc
Voila l’aboutissement de longues années de travail. bravo Yves. Je suis porteuse d’une pathologie sévère et en vous
lisant je me demande si vous pouvez m’aider?
les acouphenes peuvent ils etre soulage par la fasciaherape ?