La Médecine Tibétaine, médecine du corps et de l’esprit

Sommaire
Médecine Tibétaine : histoire, philosophie et techniques de guérison

Cet article est lu en 12 minutes, le temps de prendre une tisane et une belle respiration.

La médecine tibétaine, connue sous le nom de Sowa Rigpa, est un système médical holistique nous plongeant au VIIe siècle. À cette époque, le Tibet est un empire immense et influent, qui s’étend de l’Himalaya aux plateaux mongols. Ce système a été influencé par des traditions médicales indiennes, chinoises et grecques. Il s’est développé au fil des siècles pour devenir une approche complète de la santé.

Origines et développement

Histoire ancienne

La médecine tibétaine se dit en tibétain gso-ba rig-pa, la science des soins. Bien que développée indépendamment, la médecine tibétaine a été enrichie par les apports des médecines chinoise, ayurvédique indienne et grecque. Ce n’est qu’au milieu du XXe siècle, avec l’afflux de réfugiés tibétains, que la médecine tibétaine s’est répandue en dehors de son aire culturelle. L’activisme des groupes de défense des Tibétains, les enseignements des maîtres religieux en diaspora, et l’intérêt croissant pour les médecines alternatives ont contribué à sa reconnaissance mondiale.

En plus des pratiques savantes, de nombreuses traditions de guérison populaires et rituelles continuent d’exister, allant des actes de charité aux rituels d’exorcisme et de guérison.

Évolution historique

Yutok Yonten Gonpo, un médecin tibétain du 8ème siècle, est une figure centrale dans le développement de la médecine tibétaine. Il a voyagé, étudié et synthétisé diverses traditions médicales, notamment indiennes et chinoises.

Compilation du Gyud-Zhi (Les quatre tantras médicaux)

Yutok Yonten Gonpo a compilé les Gyud-Zhi, un ensemble de textes fondamentaux qui restent au cœur de la pratique médicale tibétaine. Ces textes couvrent des aspects variés, allant de la théorie médicale aux techniques de traitement. Ils constituent le corpus de référence pour les praticiens, nommée Amchi.

Influence du bouddhisme Le développement de la médecine savante du Tibet est intimement lié au bouddhisme. Il présente des affinités étroites avec la médecine à plusieurs niveaux. Le bouddhisme, en tant que doctrine voit la guérison comme une métaphore de la délivrance à l’asservissement au cycle des renaissances. Avec le développement du Mahayana, mot sanskrit signifiant grand moyen de progression ou Grand Véhicule, la guérison des corps est un moyen de cultiver la compassion et d’atteindre l’Éveil.

La science médicale fait partie du cursus des études bouddhiques, notamment dans les monastères. Le panthéon bouddhique s’est enrichi de figures thérapeutiques comme le Buddha Maître des remèdes (Bhaisajyaguru).

Expansion et modernisation

Au fil des siècles, la médecine tibétaine s’est diffusée au-delà des frontières du Tibet. Elle a ainsi trouvé écho en Chine, en Mongolie, au Bhoutan, et même dans certaines régions de l’Inde et de l’Occident. L’historiographie tibétaine situe les origines de cette diffusion au VIIe siècle, lorsque le Tibet vint au contact des civilisations voisines et assimila des textes médicaux indiens, chinois et gréco-arabes.

Depuis plusieurs décennies, la médecine tibétaine a subi d’importantes transformations. Après les bouleversements de la Révolution culturelle et l’exil du Dalaï-lama en 1959, la médecine tibétaine a survécu grâce son faible coût, et son pragmatisme. Intégrée dans le système de santé chinois, elle a évolué vers une standardisation des savoirs et une sécularisation. Elle s’est aussi adaptée aux marchés mondialisés des médecines alternatives, ajustant ses pratiques et discours.

Philosophie et méthodes de diagnostic

Principes fondamentaux

La médecine tibétaine se distingue par son lien profond avec les dimensions spirituelles de l’existence. Cependant, née dans le rude environnement tibétain, elle a su développer des réponses efficaces pour aborder les problématiques autant physiques que psychiques.

Concept des trois humeurs

La médecine tibétaine repose sur le concept des trois humeurs fondamentales :

  • Lung (vent) :
    • Rôle : représente l’énergie du mouvement. Il est responsable de la respiration, de la circulation sanguine et de l’activité nerveuse.
    • Fonctions : contrôle les mouvements musculaires, la sensibilité, et l’activité mentale. Facilite la communication entre les différents systèmes du corps.
    • Perturbations : un excès de Lung peut causer de l’anxiété, des troubles du sommeil, des douleurs musculaires et des problèmes de circulation.
  • Tripa (bile) :
    • Rôle : associée à la chaleur et à la digestion, elle régule le métabolisme et la température corporelle.
    • Fonctions : facilite la digestion, l’absorption des nutriments, et le fonctionnement enzymatique. Aide à maintenir la chaleur corporelle.
    • Perturbations : un excès de Tripa peut mener à des inflammations, des ulcères, des éruptions cutanées, et une irritabilité.
  • Beken (phlegme) :
    • Rôle : symbolise la stabilité et la structure. Elle est liée à la croissance, à l’immunité et à la lubrification des articulations.
    • Fonctions : contribue à la construction des tissus, la production de mucus pour protéger les muqueuses, et le stockage de l’énergie.
    • Perturbations : un excès de Beken peut provoquer une prise de poids, de la léthargie, des congestions et une digestion lente.

Un système complexe

La science des soins tibétaine est exposée dans son traité de référence, Le Quadruple Tantra. Il est censé avoir été enseigné par le Buddha Maître des remèdes. Pourtant elle n’a rien d’une médecine empirique. Elle fut, au contraire, consciemment élaborée comme un système sophistiqué. Toutes les parties, issues de l’expérience empirique ou de la théorie, sont intégrées en un ensemble cohérent soumis aux règles de l’épistémologie et de la logique formelle, et fondé sur un nombre limité de lois naturelles.

Pour la médecine tibétaine, comme pour la médecine ayurvédique indienne à laquelle elle a emprunté l’essentiel de ses bases théoriques concernant la physiologie, la pathologie et la thérapeutique, le corps vivant est constitué d’un substrat organique sur lequel trois humeurs remplissent les diverses fonctions vitales. Ces humeurs, le sang et d’autres fluides organiques parcourent le corps dans des canaux distribués en réseau. Les humeurs confèrent la vie et la santé tant qu’elles se maintiennent en harmonie. L’état de maladie n’est rien d’autre que la manifestation de l’activité pathogène de ces mêmes humeurs en déséquilibre, par excès ou par défaut, sous l’effet de l’alimentation, d’un choix de vie, des saisons, etc.

Méthodes de diagnostic

Le diagnostic médical est l’aboutissement d’une inférence logique. Idéalement, le médecin Amchi confronte les signes cliniques obtenus par l’observation, la palpation des pouls et l’interrogatoire.

Observation

La couleur et la texture de la peau peuvent indiquer des déséquilibres internes. Par exemple, une peau pâle peut signaler une déficience de Lung. Un teint rouge peut indiquer un excès de Tripa.

L’examen de la langue fournit des indices sur l’état des organes internes. Une langue fissurée peut suggérer une déficience en fluides corporels. Une langue épaisse et recouverte de mousse indique souvent un excès de Beken.

La couleur, l’odeur et la texture de l’urine sont analysées pour évaluer la santé globale. Une urine claire et abondante peut indiquer une déficience de chaleur corporelle. Une urine foncée et concentrée peut indiquer un excès de chaleur ou de bile.

Palpation des pouls

Les praticiens prennent le pouls à trois niveaux différents (superficiel, moyen, et profond) pour diagnostiquer des déséquilibres spécifiques dans les organes et les humeurs. La technique de prise du pouls est utilisée pour évaluer la force, le rythme et la qualité du pouls. Les praticiens peuvent détecter des signaux subtils concernant la santé des organes internes et l’équilibre des humeurs.

Interrogatoire du patient

Les praticiens posent des questions détaillées sur les symptômes, les habitudes de vie et les antécédents médicaux pour comprendre la nature du déséquilibre. Cet interrogatoire couvre des aspects comme l’alimentation, le sommeil, l’exercice, les émotions, et l’environnement du patient. Le diagnostic médical est conçu comme l’aboutissement d’un processus d’inférence logique au cours duquel le médecin doit, idéalement, confronter les signes cliniques obtenus par l’interrogatoire, la palpation des pouls et l’observation (surtout de la langue et des urines).

En pratique, bien que toutes ces méthodes soient utilisées, l’examen diagnostic se limite souvent à la prise des pouls, en raison de sa capacité à fournir des informations détaillées et immédiates sur l’état des humeurs et des organes du patient.

Méthodes de soin

La médecine tibétaine considère le patient dans sa globalité, intégrant le corps, l’esprit et l’environnement. Les traitements sont personnalisés pour harmoniser ces aspects. Le traitement fait appel à quatre types de thérapeutiques, de plus en plus drastiques : l’hygiène de vie, la diététique, les remèdes et les gestes externes.

La spiritualité joue un rôle crucial dans la guérison. La méditation et les prières sont utilisées pour apaiser l’esprit.

La connexion entre le mental et le physique est essentielle pour la santé selon cette tradition.

Utilisation des plantes médicinales et techniques de guérison

Plantes médicinales et pharmacopée

Dans la médecine tibétaine, la prise de médicaments est le traitement le plus important. Ces médicaments, ou pilules, sont très dures et doivent être mastiquées avant d’être avalées avec de l’eau chaude. En cas de difficulté à les mâcher, elles sont réduites en poudres.

Variété et propriétés des plantes utilisées

La médecine tibétaine utilise une large gamme de plantes médicinales, comprenant des herbes, des racines, des fleurs et des fruits. Chaque plante possède des propriétés spécifiques, et leur sélection dépend des déséquilibres à traiter.

Outre les plantes, la médecine tibétaine utilise également des minéraux et des substances animales dans ses remèdes pour leurs propriétés curatives uniques.

Préparation et formulation des remèdes

Les remèdes tibétains sont souvent composés de nombreuses plantes, parfois jusqu’à une cinquantaine, mélangées et pulvérisées pour former des pilules. Ces pilules doivent être mastiquées avant d’être prises avec de l’eau chaude, pour assurer une absorption optimale et stimuler les sécrétions digestives. Elles sont prises généralement une demi-heure avant ou après les repas, avec une quatrième prise parfois l’après-midi. Un aspect unique de ces médicaments est qu’ils peuvent d’abord exacerber les symptômes avant de les traiter, nécessitant de la patience de la part du patient.

La médecine tibétaine classe les plantes et aliments selon leur goût primaire et leur arrière-goût, plutôt que selon des concepts comme les cinq éléments de la médecine chinoise ou les trois doshas de l’ayurveda. Ce système inclut également environ dix-huit qualités influencées par le lieu de croissance des plantes, rendant leur culture et récolte en milieu naturel cruciale pour leur efficacité thérapeutique.

Techniques de guérison

Diététique et nutrition

Les praticiens recommandent des régimes spécifiques pour équilibrer les humeurs. Par exemple, pour les troubles liés de Lung, il est conseillé d’éviter les aliments qui produisent des gaz, comme les haricots. Pour les troubles de Tripa, les aliments gras et frits, ainsi que les œufs, sont déconseillés. Pour les perturbations de Beken, il est recommandé de limiter les produits laitiers et le riz, et de consommer des boissons chaudes pour réduire les mucosités. Chaque régime est adapté pour rétablir l’harmonie intérieure en fonction des symptômes spécifiques du patient.

Thérapie par les mantras

Les mantras, ou chants sacrés, sont utilisés pour harmoniser l’esprit et le corps, renforçant les effets des traitements physiques. Ces récitations répétitives de sons, syllabes ou phrases sacrées sont destinées à équilibrer les énergies et à favoriser la guérison à différents niveaux de l’être. Les mantras peuvent être récités par le patient ou par le thérapeute, et sont souvent associés à des rituels spécifiques.

Massages (Ku Nye)

Le Ku Nye est une forme de massage thérapeutique traditionnelle de la médecine tibétaine. Il utilise des huiles médicinales, des herbes et des techniques spécifiques de pétrissage, de pression et de friction pour soulager les tensions, stimuler la circulation et équilibrer les énergies corporelles. Cette thérapie externe est utilisée pour traiter diverses affections, améliorer la détente et favoriser le bien-être général. Elle peut également inclure des techniques comme la moxibustion, les ventouses et les compresses chaudes.

Acupuncture tibétaine

Proche de l’acupuncture chinoise, l’acupuncture tibétaine implique l’insertion de fines aiguilles dans des points spécifiques du corps pour rétablir le flux d’énergie vitale (Lung). Cette technique vise à équilibrer les humeurs, améliorer la circulation de l’énergie, et traiter divers troubles physiques et émotionnels. Les points d’acupuncture sont sélectionnés en fonction des symptômes et des déséquilibres spécifiques du patient, et les traitements sont souvent combinés avec d’autres thérapies pour une efficacité accrue.

Traitements thermiques (moxibustions)

La moxibustion consiste à appliquer de la chaleur sur différentes parties du corps, souvent en brûlant des herbes comme l’armoise près de la peau pour stimuler les points d’acupuncture. Elle est particulièrement efficace dans les régions froides et à haute altitude, tandis que les aiguilles d’acupuncture sont plus efficaces dans les régions chaudes et à basse altitude.

La moxibustion vise à éliminer les blocages du flux d’énergie dans les canaux principaux. Diverses techniques sont utilisées pour chauffer les points, incluant l’utilisation de pierres spéciales chauffées par friction, de tisonniers en fer ou en argent, et de petits cônes de pâte brûlés lentement.

Astrologie tibétaine

Intrinsèquement liée à Sowa Rigpa, l’astrologie tibétaine est un art divinatoire sacré utilisé pour établir une carte d’identité cosmique et une carte de santé de la personne, permettant ainsi de mieux comprendre ses prédispositions à certaines pathologies. Ce système combine des éléments de l’astrologie chinoise et indienne, ainsi que des techniques de la tradition chamanique tibétaine Bön et du bouddhisme tibétain, intégrant des concepts uniques comme les forces de vies et les 12 liens interdépendants. Cela permet d’analyser les mouvements énergétiques du macrocosme et du microcosme.

Les prières

Les prières sont des pratiques spirituelles et rituelles utilisées pour rétablir l’harmonie et l’équilibre. Elles incluent des rituels de purification, des bénédictions, et des cérémonies spécifiques visant à apaiser les esprits et à éliminer les énergies négatives. Ces pratiques peuvent être conduites par des maîtres spirituels ou des lamas, et sont intégrées aux traitements médicaux.

Autres techniques de guérison

La médecine tibétaine utilise également de nombreuses autres techniques thérapeutiques. Cela inclut la saignée, les ventouses, les compresses chaudes et froides, et les bains médicinaux. Les techniques de fomentation, qui consistent à appliquer des compresses chaudes imprégnées d’herbes médicinales. La petite chirurgie et les interventions externes mineures sont également pratiquées pour traiter certaines conditions spécifiques. Ces techniques variées nous montrent la richesse et la diversité des approches thérapeutiques en médecine tibétaine.

Importance actuelle de la médecine tibétaine

Aujourd’hui, la médecine tibétaine est reconnue pour ses approches complémentaires et préventives. Elle offre des alternatives naturelles et holistiques qui répondent aux besoins de nombreux patients à travers le monde, attirant l’intérêt pour son efficacité et son intégration des aspects physiques et spirituels de la guérison.

L’intégration de la médecine tibétaine dans les systèmes de santé modernes continue de progresser. La reconnaissance officielle dans certains pays et l’établissement d’institutions de formation et de recherche témoignent de son potentiel à compléter les approches médicales conventionnelles. Les collaborations internationales et les études scientifiques permettront de mieux comprendre et d’optimiser ses pratiques pour un bénéfice global accru.

Voici une interview d’Élise MANDINE, réalisée dans le cadre du 1er sommet des Plantes Médicinales.

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